Sans lunettes roses | VIVA MÉDIA Skip to main content

Pour la Semaine nationale des proches aidants, je vous ouvre la porte de ma vie familiale. Celle d’une femme de 38 ans, qui travaille à temps plein, tente de faire de son mieux avec son fils de 5 ans et essaye de ne pas oublier de dire à son chum combien elle l’aime. Parce que des fois, on oublie l’essentiel quand on passe plusieurs nuits blanches à élaborer des plans pour gérer son père souffrant d’Alzheimer.

Le mot « gérer » est dur. Je sais. C’est plus beau de dire « aider » ou « soutenir », mais ce n’est pas ça la réalité. Mon père habite seul dans sa maison, mais il serait plus en sécurité dans une résidence. Mais ce n’est pas ce qu’il souhaite. Il oublie bien des choses, mais il y en a une qu’il a toujours en tête c’est de rester dans sa maison. Il se souvient très bien de toute l’huile de bras qu’il y a mise pour l’entretenir et d’avoir bûché pour payer son hypothèque. Pour arriver à le maintenir à la maison, il faut trouver, mettre en place et coordonner des services. Faire de la place dans nos vies déjà très chargées pour s’occuper de tout ça. Mais ça, c’est quand on a réussi à le convaincre. C’est ça le nerf de la guerre. Et à la guerre, pour se battre, il faut des plans, des stratégies : c’est ça que je fais à 2 h du matin étendue dans mon lit.

En plus d’être un fin stratège, un proche aidant doit aussi être un combattant. C’est en jouant du coude qu’on arrive à se faire un chemin dans le système. Quand la rage au ventre est plus forte que tout et qu’elle permet d’obtenir des services que cela soit dans le système de santé ou de la part d’organismes. Après des mois de négociation avec mon père pour le convaincre que c’était trop difficile pour nous de toujours faire son ménage et qu’il accepte qu’une étrangère entre dans sa maison, il a fallu quatre mois et au moins huit appels pour que l’organisme commence le service d’entretien ménager. Peut-être que la situation est rose dans Vaudreuil-Soulanges (permettez-moi d’en douter), mais à Montréal je peux vous assurer que c’est gris. On a toujours l’impression d’être dans une zone grise. Ça épuise d’essayer de s’en sortir.

Chaque proche aidant vit ça différemment selon l’état de la personne qu’elle aide, mais aussi selon sa situation. Un dimanche matin sans tempête de neige et sans cônes oranges, je peux faire le trajet Vaudreuil-Dorion/Rivière-des-Prairies (est de Montréal) en 45 minutes. Un matin de semaine c’est entre 1 h 30 et 2 h. Cette distance entre lui et moi est probablement le pire des défis. Je ne peux pas juste arrêter souper avec lui après le travail. Non. Tout doit être planifié. Je dois aussi gérer l’agenda pour coordonner les visites des autres proches aidants. Quand c’est mon tour de prendre soin de lui, j’apporte ma glacière avec tous les petits plats que j’ai mis de côté pour lui. Chaque visite est un sprint pour palier à tout ce qu’il a besoin : pharmacie, épicerie, quincaillerie, « Commission des liqueurs », sans oublier de rajuster les téléviseurs qu’il a déprogrammés.

Être loin, c’est vivre avec la peur au ventre constamment, surtout quand il ne répond pas au téléphone. C’est se demander s’il est tombé, s’il va bien. C’est angoisser quand il fait 40 degrés Celsius l’été ou – 40 l’hiver. C’est s’imaginer les pires choses. Et c’est le réconforter au téléphone quand il est triste.

Les problèmes de mon père ont commencé il y a environ cinq ans, soit quand mon fils est né. Fiston l’a toujours connu un peu tout croche. C’est triste. Moi je suis devenue maman deux fois : une fois pour mon fils, une fois pour mon père. C’était jeune 33 ans pour devenir le parent de son père. Un tiers des proches aidants ne réalisent pas qu’ils en sont. Comme eux, je n’ai pas réalisé tout de suite que j’en étais une. À de l’accompagnement pour un rendez-vous chez le médecin s’est ajouté besoin par-dessus besoin. Comme un jeune adulte découvrant son rôle de parent, on apprend le rôle de proche aidant sur le tas. On est souvent épuisé. On pleure en pensant qu’on ne passera jamais à travers. Mais, quand chaque soir, mon père me dit « je t’aime », mon cœur fond et j’oublie tous mes problèmes, pour un instant.

Caroline Bonin

Journaliste

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