La bonté est désintéressée. Elle fait son œuvre modestement, sans rien attendre en retour. L’Abbé Paul Leboeuf en sait quelque chose puisqu’il a consacré sa vie aux autres, sans faire de bruit. Si son visage est familier du grand public, c’est parce que le célèbre groupe Rock et Belles Oreilles l’a parodié, dans les années 1980. Qui est cet homme plus grand que nature dont les réalisations ont touché le cœur de tant de gens et contribué à bonifier la réalité d’une communauté soit celle des enfants sourds?
L’histoire de l’Abbé Leboeuf semble avoir été écrite bien avant sa naissance. De son propre aveu, il raconte que selon lui, en guise de sa reconnaissance, sa mère aurait promis à Dieu que son troisième garçon, le premier à naître entendant, serait prêtre. En effet, la famille Leboeuf compte alors deux garçons sourds. En 1935, l’Abbé Leboeuf naît entendant et l’enfant qui suit est un autre garçon sourd. Succinctement, le clan familial est composé de 9 enfants, dont 5 filles et 4 garçons. L’Abbé Leboeuf est le seul garçon entendant.
Dès son jeune âge, l’Abbé Leboeuf sert d’interprète pour ses frères. Bien que ses frères et lui ne maîtrisent pas le langage des signes, l’Abbé Leboeuf les comprend et leur sert volontiers d’interprète.
Petit garçon, l’homme de foi rêve de devenir prêtre. « Un de mes cousins était franciscain. Il venait en visite tous les cinq ans pour ramasser des fonds pour sa mission. Il œuvrait au Pérou. Il avait alors des photos qui passaient rapidement autour de la table, mais j’avais le temps de les regarder. Je me disais que j’irais moi aussi, convertir des femmes nues. J’avais 6 ou 7 ans. » Rapidement, l’Abbé Leboeuf comprend que ce n’est pas ce qu’il désire puisque tout ce qu’il souhaite, c’est de devenir prête, point!
En 1957, l’Abbé Leboeuf fait son entrée au grand séminaire. En 1960, il est ordonné diacre. « À ce moment-là, je m’en souviendrai toujours, j’étais couché sur le sol avec les autres diacres et le cardinal célébrait la messe. La seule pensée qui me venait était Paul lève-toi et sauve-toi. Cela voulait dire que je n’étais pas prêt. J’ai donc demandé à rester diacre. Mes collègues ont été ordonnés prêtres en 1961 et moi j’ai été nommé aide-aumônier à l’Institut des Sourdes-Muettes. »
À l’époque, la méthode de communication pour les sourds et muets est orale. Succinctement, cela consistait à lire sur les lèvres. Rapidement, l’abbé réalise qu’à peine la messe débutée, le regard des élèves s’égare, signe manifeste que leur intérêt à suivre sur les lèvres n’y est pas. Malgré son immense respect pour la méthode offerte dans cette école, l’abbé est alors déterminé à bonifier la communication avec les élèves. « Je respectais le fait qu’à l’école, la méthode utilisée était orale, mais à l’église, c’était moi le patron et je voulais que les élèves comprennent la messe. J’ai commencé à faire les signes. Ç’a été un scandale! Les sœurs boudaient en disant que je défaisais tout ce qu’elles faisaient à l’école. »
N’appréciant pas la méthode de communication de l’Abbé Leboeuf, les sœurs consultent la communauté des sœurs sourdes. Ces dernières se rangent du côté de l’homme en soulignant que les sourds ont besoin de tous les outils nécessaires pour comprendre les entendant.
Ainsi, durant ses années de diacre, l’Abbé se rend à plusieurs reprises aux États-Unis afin de suivre des stages sur l’enseignement de la religion aux sourds. C’est alors qu’il découvre la communication totale, c’est-à-dire l’utilisation orale, le langage des signes et l’épellation.
« Je revenais avec de la documentation que je laissais traîner ici et là dans la section des classes. Je perdais la mémoire et j’oubliais les papiers pour que les sœurs les trouvent et se demandent ce qu’était la communication totale », souligne fièrement l’Abbé.
Centre Notre-Dame-de-Fatima
Il est ordonné et devient aumônier à la Villa Notre-Dame-de-Fatima, qui deviendra le Centre Notre-Dame-de-Fatima. Précisons qu’à l’époque, la Villa en opération depuis 1948, est adjacente au Château Vaudreuil.
Tous les vendredis, il transporte des élèves sourdes de l’Institut, jusqu’au centre afin qu’elles puissent y passer la fin de semaine, puis l’été. Les élèves résidaient souvent en régions éloignées. Elles demeuraient donc à long terme à l’Institut puisque leurs parents n’avaient pas les moyens de les faire revenir pour les vacances. Ainsi, en les conduisant à la Villa, l’Abbé Leboeuf leur offre du répit.
Au fil du temps, l’Abbé Leboeuf bonifie les installations de la Villa. Notamment, en l’agrandissant en utilisant l’argent reçu d’un héritage familial. Soulignons également qu’il n’a jamais hésité à mettre la main à la pâte en s’impliquant, avec ses amis, aux travaux. De plus, l’abbé reçoit un salaire du gouvernement pour la gestion du camp. Naturellement, il le remet en entier à la Villa, afin de bonifier les services offerts aux enfants.
À la fin des années 1970, les garçons sourds sont admis à l’Institut. En 1995, la Villa emménage sur le site actuel. Malheureusement, ce déménagement signifie que l’Abbé et les sœurs qui résident avec lui, perdent leur demeure, construite sur l’ancien site. Que cela ne tienne! Ils s’installent dans une maison louée et reprennent leur mission.
Pendant les décennies qui suivent, l’Abbé Leboeuf poursuit son œuvre. Il se consacre cœur et âme à la pérennité de Fatima qui aujourd’hui offre notamment, des camps de vacances pour enfants aux besoins particuliers.
En pénétrant sur le site du Centre plein air Notre-Dame-de-Fatima, il émerge un profond sentiment de paix. « Tout ça, c’est l’œuvre de l’Abbé Leboeuf », souligne Steven Grenier, directeur du développement. Le regard empreint d’admiration, l’homme confie que l’Abbé Leboeuf est un être exceptionnel qui a consacré sa vie aux autres. Il mentionne que ce dernier n’a jamais hésité à accourir auprès de ceux qui sollicitaient son aide, et ce, peu importe l’heure du jour ou de la nuit. Monsieur Grenier est catégorique; l’Abbé Leboeuf a bonifié la vie d’un nombre incalculable d’enfants et le Centre plein air Notre-Dame-de-Fatima ne serait pas ce qu’il est sans lui.
Une vie au service d’une communauté
L’Abbé Leboeuf a consacré sa vie aux autres. Notamment à la communauté sourde. Il sera le vent de changement, celui par qui les choses évoluent. Il se rend fréquemment à Québec et à Trois-Rivières afin d’enseigner le langage des signes. Il sert d’interprète au palais de justice. De plus, désirant que tous puissent comprendre la messe, il anime gratuitement pendant plusieurs années, à raison de 5 jours par semaine, une émission dans laquelle il signe la messe pour les sourds. Précisons que c’est ce qui inspira le personnage de Rock et belles oreilles.
Un message d’amour et de lâcher-prise
Questionné à savoir s’il a un message à laisser, l’Abbé Leboeuf répond de faire confiance au Seigneur puisqu’il sait toujours ce qu’il fait. « Rien n’arrive pour rien. Il faut faire confiance même lorsqu’on ne comprend pas ce qui se passe. Le Seigneur lui comprend et sait », conclut-il.