Dans le cadre du dossier spécial sur l’itinérance, l’équipe de VIVA Média a décidé de vivre une expérience. Se faire itinérant pour quelques heures, histoire de ressentir le vécu de ces personnes.
Nicola Di Narzo, journaliste. Photo Steve Sauvé
Le but de cette expérience sociale était de tester la générosité des habitants de la région et saisir le vécu de ces gens qui bien souvent luttent pour survivre. Pour ce faire, deux de nos journalistes, un homme et une femme, se sont déguisés en itinérants.
L’expérience est plutôt révélatrice et une réelle prise de conscience pour les deux imposteurs du monde inconnu de la pauvreté. Pour l’homme, ce qui marque le plus est le fait que les gens le fuyaient du regard et n’osaient même pas regarder en sa direction. Parfois même, ces derniers changeaient leur trajectoire pour éviter le simple contact. Les quelques personnes qui ont osé emprunter le même chemin refusaient de donner de l’argent ou insultaient le journaliste en lui disant d’aller se trouver un travail. Quelques personnes, surtout des personnes plus âgées, donnaient sans commentaire. Durant les 45 minutes, un seul jeune est venu offrir un repas chaud au lieu de l’argent. Pendant ce temps qui semblait éternel, à cause du froid intense (ressenti de -10 C), 8 $ ont été amassés.
« J’ai eu l’impression d’être invisible. Les quelques commentaires insistants me disant d’aller me trouver un travail m’ont blessé, malgré le fait qu’il s’agissait d’une mise en scène, puisque je pense à ces gens qui ne réussissent vraiment pas à trouver un emploi », dit Nicola Di Narzo, journaliste.
Une autre expérience pour notre femme journaliste
Quant à la femme journaliste, l’expérience est plutôt tout le contraire. Les gens la saluaient et lui suggéraient même d’aller se réchauffer à l’intérieur. Nombreux arrêtaient pour lui donner de l’argent et l’encourager dans ces moments difficiles. Une voiture s’est même arrêtée pour lui remettre de la nourriture. Devant cesser l’expérience après seulement vingt minutes à cause de l’intervention des gérants de l’établissement, celle-ci avait déjà amassé 16 $.
« Les gens étaient gentils avec moi. C’est plutôt gênant, mais en même temps les gens étaient courtois et polis. Aucune insulte de mon côté », dit Mona Rochon, journaliste.
Une dure réalité au-delà de notre expérience
Bref, cette expérience révélatrice de la mentalité et de la perception des gens par rapport à l’itinérance, renvoie à ce que John Gladu, directeur de l’Aiguillage, confie dans une entrevue précédente. Les itinérants ne sont plus ceux que l’ont voyaient autrefois. Ils sont souvent des hommes d’affaires, des gens qui étaient chefs d’entreprises et qui se retrouvent à la rue pour différents motifs. Une fois plongés dans le monde de l’itinérance, les issues sont difficiles et il semble parfois même que ces derniers entrent, malgré eux, dans un cercle vicieux.
Il faut donc bien réfléchir avant de juger et de condamner une personne itinérante. Ces derniers vivent certainement quelque chose de difficile et sont probablement à un moment pénible de leur vie.
Quant à l’argent amassé, 24 $, elle sera remise à l’Aiguillage pour soutenir, même si quelque peu, ces gens qui malgré leur situation, ont une dignité et méritent d’être aidés.
Mona Rochon, journaliste. Photo Steve Sauvé
La compassion à géométrie variable – texte de Mona Rochon
Les journalistes de Viva média ont vécu une expérience hors du commun, le lundi 10 décembre dernier. Ils se sont glissés dans la peau d’itinérants afin de mesurer la générosité des gens face à eux. Cette méthode n’a absolument rien de scientifique, mais est tout de même un bon indicateur.
Alors que mon collègue masculin s’est fait ignorer par plusieurs et même bousculer verbalement, les gens ont été plutôt sympathiques envers moi. Le but de cette expérience était justement de vérifier s’il y avait une différence dans l’attitude des gens envers des itinérants hommes ou femmes. Il semble y en avoir une majeure.
En général, le public a été plus respectueux envers la femme qu’envers l’homme. Mon collègue masculin s’est fait dire sèchement à plusieurs reprises de se trouver du travail. On m’a en revanche souhaité bonne chance pour l’avenir avec compassion. J’ai aussi amassé deux fois plus que mon collègue en deux fois moins de temps.
Une personne m’a offert à manger, me confiant qu’elle avait acheté pour mon collègue qui n’était plus devant le magasin à sa sortie. Une autre a offert d’acheter un repas à mon collègue alors qu’il était toujours devant le commerce en train de mendier. Les repas ont été refusés, et nous avons expliqué à ces personnes l’expérience que nous étions en train de mener, tout en les remerciant de leur grande générosité.
Les gens ont manifestement plus de sympathie envers une femme itinérante qu’envers un homme. Il serait bien de savoir pourquoi. Pour reprendre le vieux proverbe, on dit à l’homme d’aller pêcher alors que l’on donne le poisson à la femme.
Interdiction de mendier
Mendier est interdit sur la place publique et les gens qui le font s’exposent à une contravention. Bien entendu, les corps policiers avaient été avisés de l’expérience que nous menions, afin d’éviter cette situation, mais pas les commerçants. Nous voulions voir aussi l’attitude de ceux-ci envers les itinérants, et voir combien de temps il nous serait possible de rester là à mendier. Le résultat a été surprenant : il n’y a pas une grande tolérance envers les plus démunis de la société, ceux à qui il ne reste plus rien. L’équipe s’est fait dire de quitter l’endroit devant l’un des commerces où nous nous étions installés pour solliciter la générosité des gens après 20 minutes.
En une heure, mon collègue et moi avons amassé 24 $ en mendiant auprès des clients de commerces achalandés. Cet argent a été versé à la ressource L’Aiguillage, qui aide les itinérants à se sortir de cette situation dans Vaudreuil-Dorion. Les gens qui ont été assez généreux pour nous offrir de la monnaie peuvent être rassurés : ils aideront vraiment des itinérants dans le besoin.