Je suis née d’une mère, qui n’en était pas une. Je suis la fille d’une femme qui aurait préféré mourir plutôt que d’être une femme. Je suis la fille d’une femme courageuse, qui a défriché un chemin, que très peu avant elle avait emprunté. Un chemin rocailleux, parsemé d’orties, qui lui ont lacéré la peau et l’âme, aussi.
Ma mère est une des premières femmes au Québec à avoir changé de sexe. En 1983, elle est devenue un homme. Celle, que j’ai appelé maman qu’un court instant, est l’une des premières transsexuelles du Québec, même du Canada.
Tout ce qui avait rapport avec son ancienne vie était tabou à la maison. Nous ne pouvions pas parler d’elle, ça lui faisait trop mal. Elle voulait oublier qu’un jour, elle été née ELLE.
Personne ne connaissait la transsexualité. Ceux, qui avaient eu vent de son secret, la ridiculisaient, la pointaient du doigt, la considéraient comme étant une personne déséquilibrée mentalement, voire même dangereuse. Les parents des alentours refusaient pour la plupart, que leurs enfants jouent avec moi. Il ne fallait surtout pas que ma mère devenue mon père les contamine avec ce qu’ils appelaient sa maladie mentale.
Ma mère a été battue, plus d’une fois. « Tu veux être un homme alors bats-toi comme un homme », s’est-elle fait dire plus d’une fois, avant d’être ruée de coups. Elle a perdu ses emplois les uns après les autres. Chaque fois, elle se faisant traiter d’imposteur, de tapette, de fifi, de malade mentale.
Être la fille de ma mère fut pendant longtemps un de mes plus grands malheurs. Je traînais son histoire dans ma propre identité de genre. Mille fois, on m’a posé des questions, on m’a fait voir des psychologues. Étais-je une fille ou un garçon en devenir ? Pourtant, moi, je ne me suis même jamais posé la question. J’étais une fille, point ! On m’a observé sur tous les angles, croyant que la transsexualité était génétique, que ma mère avait engendré une étrange, tout comme elle.
Combien de fois, ai-je maudit ma mère, persuadée que son choix de vie avait fait de moi une bête de foire, avait fait de nous une famille maudite. J’ai eu honte d’elle, tellement honte!
En réalité, mon plus grand malheur n’était pas d’être sa fille, mais d’être née à une époque où la différence était condamnée. Mon plus grand malheur n’était pas d’être la fille de ma mère, mais de grandir dans une société où les gens rejetaient systématiquement la différence au lieu de tenter de la comprendre.
Aujourd’hui, je comprends qu’être sa fille a fait de moi la femme que je suis devenue. Je suis choyée d’être la fille de cette femme courageuse, qui a pris le risque d’aller au bout de ses rêves, de défier l’impossible. Parce que, le courage, c’est ça. C’est vivre pour sois avant de vivre pour les autres. En devenant ce qu’elle voulait devenir, elle a ainsi ouvert la porte à cette génération actuelle de femmes et d’hommes qui peuvent faire le même choix qu’elle, sans avoir à bûcher comme elle. Sans avoir à se faire battre au moindre détour.
Par son choix, ma mère a été ignorée, scrutée, persécutée, malmenée, intimidée, ridiculisée. Mais, elle s’est tenue debout. Elle a soutenu le regard de ceux qui lui ont craché dessus. Elle a aimé et compris ceux qui la détestaient sans la connaitre. Je suis la fille d’une battante. D’un guerrier au cœur courageux.
Je suis la mère de 4 filles, que j’ai désirées plus que tout au monde. Mon adolescente a une copine et je suis fière, qu’elle puisse vivre son amour en toute liberté, sans subir ce que ma mère a vécu. Si, elle peut marcher dans ce chemin, main dans la main avec sa copine, sans se soucier d’être battue, stigmatisée et rejetée par ses pairs, c’est parce que des gens comme sa grand-mère, ont un jour ouvert le chemin pour elle.
Si petite, être la fille de ma mère a été mon plus grand calvaire. Aujourd’hui, je peux me tenir debout devant vous tous et crier haut et fort que je suis fière d’être la fille d’une pionnière, d’un lion, de la définition même du courage et de la persévérance.
Je suis la fille de Coco, née Manon Leduc, mis en terre sous le nom de Christian Leduc.
J’ai fait le choix d’utiliser le ELLE dans ce texte après mûre réflexion parce que j’ai choisi la formule lettre à ma mère. Je suis la fille de ma mère. Toute ma vie, on m’a dit que je lui ressemblais. Petite, des spécialistes m’ont fait passer plusieurs tests, mon identité de genre les inquiétait. Écrire en 700 mots, une histoire aussi complexe que la nôtre, n’est pas facile. Je ne l’ai jamais appelé Maman. Jamais
Je ne pouvais pas utiliser 3 pronoms dans un texte. Je ne pouvais pas écrire non plus Je suis la fille de mon père, parce qu’un père j’en ai un.
Il a fait le choix de devenir IL, mais les mots ne changeront jamais le fait qu’il est ma mère. Je n’ai pas d’autre mère. Il est celui qui m’a mis au monde. Et, l’espace de ce texte, je suis de nouveau la fille de ma mère. Parce que toute ma vie, j’ai été la fille de Coco. Ce joli surnom est cher à mon cœur mais pour un enfant, il ne sera jamais aussi doux que celui de Maman.